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Notions de prosodie
(... de 1893 !)
[GrammaireFr1893],
[EncyclUnivers],
[LettreNet]
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Suite aux
poèmes sur le monde du Travail,
il semble important, afin de pouvoir juger de la qualité de
cette "oeuvre" poétique, d'avoir quelques notions
de prosodie.
Certes, aujourd'hui ce terme désigne
une des deux branches de la phonologie (l'autre étant
constituée par la phonématique) et comporte l'accent
tonique, l'intonation, l'emphase et le ton.
Mais il y a 108 ans (puisque ceci a
été écrit fin 2001), il en allait tout autrement :
Mes ajouts et commentaires sont en
[italique bleu entre crochets].
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Ce qui suit est issu de la "Grammaire Française - Cours Supérieur",
de BRACHET et DUSSOUCHET, édition Librairie Hachette et Cie, 1893.
Il s'agit du nouveau cours de grammaire française, conforme
au programme du 28 janvier 1890, à l'usage de l'Enseignement secondaire
classique, de l'Enseignement secondaire des jeunes filles et de l'Enseignement
classique moderne.
C'est la cinquième édition de cette grammaire initialement
rédigée en 1888, par A. BRACHET, Lauréat de l'Académie
française et de l'Académie des Inscriptions, et par J. DUSSOUCHET,
Agrégé des classes de grammaire, Professeur au lycée
Henri IV.
Cet appendice sur les notions de prosodie est emprunté en grande
partie à l'excellent Traité de versification française
de M. Quicherat. (Librairie Hachette).
Introduction
Le mot prosodie, d'origine grecque, a désigné
d'abord l'ensemble des règles relatives à l'accent
tonique,
puis la quantité longue ou brève des syllabes en grec et
en latin. Au moyen âge, les notions prosodiques devenant de plus
en plus confuses, on remplaça la quantité par le nombre de syllabes, c'est-à-dire que pour faire un
vers, on ne mesura plus
les syllabes, on les compta.
Quant au mot prosodie, détourné
de son sens primitif, il désigne aujourd'hui les règles de
la versification en usage dans toutes les langues.
Prosodie vient du grec pros-ôdia, littéralement
traduit par le latin ac-centus (accent tonique).
On
appelle syllabe une voyelle seule ou jointe à d'autres
lettres qui se prononcent par une seule émission de voix. Syllabe
vient du grec sullabê, "réunion de lettre".
La quantité ne peut pas être le principe de notre versification, parce
qu'en français la plupart des
syllabes
sont douteuses, c'est-à-dire ni brèves ni longues.
La versification est donc l'art ou
la manière de faire des vers.
On appelle vers un assemblage de mot
arrangés suivant certaines règles déterminées.
Les vers français diffèrent de la
prose par la position fixe d'un ou de plusieurs accents
toniques. Ils en
diffèrent encore en ce qu'ils ont un nombre limité de syllabes
et qu'ils se termine par une consonance pareille qui se trouve à
la fin de 2 vers au moins.
On appelle
rime le retour du même
son à la fin de 2 ou de plusieurs
vers.
Il faut considérer dans les vers
: la mesure,
l'élision, l'hiatus, la césure, les
accents,
la rime et l'enjambement. Nous étudierons ensuite
les différentes sortes de vers. De la mesure
On appelle mesure le nombre déterminé
de
syllabes que compte
un
vers.
Nous venons de voir que le vers
français est syllabique, c'est-à-dire que l'on compte
les
syllabes sans
s'inquiéter si elles sont longues ou brèves. Compter le nombre
de
syllabes qui composent un
vers, c'est le scander.
Le vers français peut avoir de une
à
douze syllabes. Le vers de douze
syllabes s'appelle aussi
alexandrin.
Remarque : une
syllabe muette
(celle terminée par un e muet, comme me dans je t'aime)
ne compte
pas à la fin du vers.
Toute syllabe
compte dans le vers ; aussi
faut-il avoir soin de rétablir, en scandant, les syllabes muettes
que la rapidité de la prononciation ne fait pas ressortir dans le langage
familier : é-pous-se-ter, u-ne pe-ti-te ru-se.
Il faut aussi diviser deux voyelles qui se suivent,
quand elles ne forment pas une diphtongue (la réunion
de 2 voyelles qui se prononcent par une seule émission de voix,
comme ui dans huileux. Diphtongue vient du mot latin
diphtongus,
qui a été emprunté au grec et qui signifie " deux
sons ". Les principales diphtongues sont ia, ie,
io,
oi,
ue,
ui,
oua,
oue,
oui.
Ex. : piano, pied, pioche, roi, etc.) : Vous
a-vou-ez, un di-a-mant.
Dans les imparfaits et les conditionnels, les trois
dernières lettres ent ne comptent pas dans la mesure : voulaient,
voudraient.
Il en est de même au pluriel du subjonctif dans les auxiliaires,
qu'ils
aient, qu'ils soient, lesquels sont monosyllabes.
Les mêmes lettres font une syllabe
au présent
de l'indicatif et du subjonctif dans les verbes suivants : pai-ent,
voi-ent,
emploi-ent,
avou-ent,
pri-ent,
etc. (cf. lien 1074).
L'e muet
compte également à
la fin des mots, quand il n'est pas immédiatement suivi d'une voyelle
ou d'une h muette.
Quand deux voyelles se suivent dans le corps d'un
mot, comme ia, ion, ier, etc., la règle générale
est que chacune de ces voyelles comptent pour une syllabe
; mais les exceptions
sont nombreuses. La même observation s'appliquent aux diphtongues
suivi d'une voyelle : oua, oué, oui,
etc.
Voici la quantité
syllabique des principaux groupes
de voyelles dans notre langue :
-
Ia est ordinairement dissyllabe : pri-a, mari-age,
nupti-ale, etc., excepté dans diable, diacre,
fiacre,
liard
où il est monosyllabe.
-
Iai est ordinairement dissyllabe : j'étudi-ai, je
confi-ais, auxili-aire, etc., excepté dans bréviaire
où il est monosyllabe.
-
Ian, ien, iant, ient sont dissyllabe : souri-ant,
cli-ent, audi-ence, fri-and, excepté dans viande
où ian est monosyllabe.
-
Iau est dissyllabe : mi-auler, besti-aux.
-
Ié, ier, iez, ière sont :
1° Monosyllabes dans les noms et les adjectifs quand la désinence
n'est pas précédée de deux consonnes dont l'une est
l
ou r : por-tier, prison-nier, pre-mier, ami-tié,
cier-ge, ai-miez, croi-riez, pous-sière,
etc.
2° Dissyllabes dans les noms et adjectifs quand la désinence
est précédée de deux consonnes dont l'une est l
ou r : baudri-er, étri-er, ouvri-er,
pri-ère, sangli-er, alli-é, voudri-ez,
entri-ez, sembli-ez.
Ils sont encore dissyllabes dans mendi-er, défi-er,
étudi-ez, initi-é, pi-été,
inqui-et, matéri-el, hi-er, etc.
Au moyen âge et jusqu'à la fin du seizième siècle
ier
est monosyllabe :
Le gibier du lion, ce ne sont pas des moineaux,
Mais beaux et bons sangliers, daims cerfs et bons beaux. (La
Fontaine.)
Où pourrais-je éviter ce sanglier redoutable (Molière.)
-
Ien (prononcé in) est :
1° Monosyllabe dans main, tien, sien,
rien,
viens,
chrétien, appartient, etc.
2° Dissyllabe dans li-en, chirurgi-en, Indi-en,
etc.
-
Ieu est :
1° Monosyllabe dans lieu, dieu, pieu,
cieux,
vieux,
monsieur, etc.
2° Dissyllabe dans les adjectifs : envi-eux, extéri-eur,
odi-eux, oubli-eux, pi-eux, etc.
-
Io est ordinairement dissyllabe : curi-osité,
di-ocèse, péri-ode, médi-ocre,
vi-olon, vi-olence, vi-olet,
etc., excepté dans fiole et pioche où il est monosyllabe.
-
Ion est :
1° Monosyllabes dans les verbes quand cette diphtongue
n'est pas
précédée de deux consonnes dont l'une est l
ou r : aim-ions, aime-rions, sor-tions, etc.
2° Dissyllabes quand l'une des deux consonnes dont l'une est l
ou r : entri-ons, voudi-ons, mettri-ons, sembli-ons.
Elle est aussi dissyllabe dans déli-ons, pri-ons,
pari-ons, ri-ons, acti-on, nati-on, passi-on,
religi-on, li-on, espi-on, milli-on, etc.
-
Oé est monosyllabe dans poêle, moelle,
et dissyllabe dans po-ésie, po-ète, po-ème,
etc.
-
Oin est monosyllabe dans : besoin, loin, soin,
moins, point, etc.
-
Oua, oué, ouer, ouette sont ordinairement dissyllabes
: avou-a, lou-é, secou-er,
alou-ette, Rou-en, etc. excepté dans
fouet et fouetter où ouet est monosyllabe.
-
Oui est ordinairement dissyllabe : ou-ï, ou-ïr,
éblou-ir, évanou-ir, Lou-is,
etc. excepté dans oui où il est monosyllabe.
-
Ouin est monosyllabe : babouin, marsouin, etc.
-
Ua, ué, uer, uel, uet, ueur sont ordinairement
dissyllabes : tu-a, remu-é, attribu-er,
cru-el,
du-el,
mu-et, nu-ée,
lu-eur,
etc. excepté dans écuelle où uelle est monosyllabe.
-
Ui est monosyllabe dans lui, celui, fruit,
aujourd'hui, fuir, puits, sui-vre, ré-duire,
etc., et dissyllabe dans flu-ide, ru-ine,
su-icide, etc.
-
Y et ï ne forment une syllabe distincte que dans paysan
(pai-san), abbaye, ha-ï, sto-ïque,
et disparaissent dans payable (pai-ia-ble), effrayant, foyer,
moyen,
citoyen, voyons, etc., et même dans voyions,
voyiez.
[En 2001, [EncyclUnivers]
nous dit :
« l'interprétation syllabique
d'un énoncé français, quoique largement déterminée par sa forme phonologique,
n'est souvent pas complètement déductible de sa forme écrite; par exemple, la structure syllabique dépend, pour le mot «lion», du choix entre
l'interprétation vocalique de i («diérèse: deux syllabes), ou consonantique («synérèse»: une syllabe); «samedi» fait trois
syllabes si on y fait correspondre une voyelle à la lettre e, deux
syllabes sinon («élision»).
La majorité de ces ambiguïtés sont tranchées par deux types de codification, peu à peu établies par
l'usage, qui ont prévalu, non sans quelques flottements ou évolutions, jusque vers la fin du siècle dernier.
D'une part, la forme phonique des mots tend à se figer par son usage même (langue des
vers traditionnelle), et par là même à se signaler comme désuète, voire archaïque: ainsi tous les «lions» de la langue poétique classique sont des li-ons, alors que tous les «pieds» sont des [pje] (une syllabe).
D'autre part, l'interprétation de la forme écrite est rigoureusement
codifiée
par la tradition sur certains points dont dépend la syllabation ou la
rime (conventions graphiques): par exemple, une graphie de consonne même muette est toujours considérée, en fin de mot, comme pertinente; de ce fait, «espaces», censé se terminer par le son [z] (ou [s]) à cause du s final de sa forme écrite, ne
rime pas avec «passe», et «espaces infinis», où
l'e ne peut pas être
«élidé» devant la consonne [z], compte forcément pour 6 syllabes et non 5 dans un
vers.
Pour un lecteur accoutumé à ces conventions, la valeur syllabique des vers classiques, et par là leur métrique, est évidente
d'emblée.
Mais un grand nombre de lecteurs modernes, même cultivés, connaissent mal ces
conventions, et perçoivent, en les lisant, les
vers classiques comme des «vers libres» sans métrique
rigoureuse. Peu, aujourd'hui, perçoivent, dans «Le lait tombe: adieu veau, vache, cochon, couvée»,
l'alexandrin 6-6 que ce fut pour La Fontaine; peu reconnaissent les 12
syllabes qu'avait «Belles, et toutes deux joyeuses, ô douceur!» pour Hugo.
Ainsi les mêmes types de codification qui facilitaient autrefois la communication de la forme métrique tendent
aujourd'hui à la rendre obscure, et ont contribué au recul des formes métriques de structure syllabique traditionnelles (ces formes survivent cependant par
l'enseignement, la culture classique, et chez de nombreux amateurs), alors que les formes à métrique isochronique
- se dit des oscillations qui sont de même période et de même durée
- de culture orale (slogan, chant) n'ont pas connu une pareille déchéance.
»]
De l'élision
L'élision est le retranchement
d'une syllabe.
L'e muet à la fin des mots,
quand il est immédiatement suivi d'une voyelle ou d'une h
muette, ne compte pour rien dans la mesure du
vers : on dit alors qu'il
y a élision. Ex :
Prêtez-moi l'un et l'autre une oreille
attentive. (Racine.)
L'argent en honnête homme érige un
scélérat. (Boileau.)
Dans ces deux vers, les syllabes en italique sont considérées
comme nulles, parce que l'e muet disparaît dans la
prononciation.
Les mots comme vie, joie, risée,
vue,
etc. qui ont un e muet précédé d'une voyelle,
ne peuvent rentrer dans le corps du vers qu'à condition d'élider
ce e muet. Ex :
Vous prenez pour génie une ardeur de
rimer. (Boileau.)
Hector tomba sous lui. Troie expira sous
vous. (Racine.)
Si l'élision ne peut avoir lieu, comme dans les
joies,
les destinées, ils voient, ils prient, etc.,
où l'e muet est protégé par une consonne finale,
ces mots n'ont d'autres places qu'à la fin du vers. Ex :
J'entends déjà frémir les deux mers étonnées
De voir leurs flots unis au pied des Pyrénées.
(Boileau.)
Cette règle est générale pour les
noms ; il n'y a d'exception dans les verbes que pour les troisième personnes plurielles de l'imparfait de l'indicatif et du présent
du conditionnel, et pour que tu aies, qu'ils aient, qu'ils
soient, où on ne compte pas plus dans la mesure
que dans la prononciation. Ex :
Français, Anglais, Lorrains, que la fureur rassemble,
Avançaient, combattaient, frappaient, mouraient
ensemble. (Voltaire.)
Sans que mille accidents ni votre indifférence
Aient pu me détacher de ma persévérance.
(Molière.)
Qu'ils soient comme la poudre et la paille légère
Que le vent chasse devant lui. (Racine.)
De l'hiatus
On appelle hiatus la rencontre de
deux voyelles dont l'une finit un mot et l'autre commence le mot suivant.
Ainsi l'on ne peut dire dans un vers : tu es, tu auras,
il
va à Paris, si elle veut.
Hiatus est un
mot latin qui signifie bâillement, ouverture de la bouche.
Boileau a consigné cette règle dans
son
Art poétique et l'a rendu sensible par deux exemple qui
imitent l'hiatus :
Gardez qu'une voyelle, à courir trop hâtée,
Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée.
L'e muet à la fin d'un mot ne peut jamais
former un hiatus, puisqu'on l'élide
toujours.
Nos anciens poètes, jusqu'à Malherbe, se permettaient l'hiatus, et Malherbe lui-même écrit encore :
Il demeure en danger que l'âme, qui est née
Pour ne mourir jamais, meure éternellement.
La conjonction et suivie d'une voyelle fait également
hiatus, parce que le t ne se prononce pas. Ainsi l'on peut dire
en vers : sage et heureux, et il vient.
On place cependant devant une voyelle, sans
qu'il y ait hiatus, des mots comme étrangers, papier,
clef,
nez, loup, etc., dont la consonne finale ne
se prononce pas.
L'étranger est en fuite, et le juif
soumis. (Racine.)
Je reprends sur-le-champ le papier et la
plume. (Boileau.)
Enfermée à la clef, ou menée
avec lui. (Molière.)
Le manteau sur le nez, ou la main dans la
poche. (Racine.)
J'ai fait parler le loup et répondre
l'agneau. (La Fontaine.)
On admet encore sans hiatus
le mot oui répété,
et les interjections ah, oh, suivies d'une voyelle. Ex :
Oui, oui, cette vertu sera récompensée.
(Racine.)
J'irais trouver mon juge. - Oh! oui, Monsieur,
j'irai. (Id.)
Ah! Il faut modérer un peu ses
passions. (Molière.)
Tant pis. - Eh oui, tant pis ; c'est là ce qui
m'afflige.
(Id.)
De la césure et de l'hémistiche
Le vers alexandrin est généralement
coupé en deux par un repos après les six premières syllabes
: cette coupure s'appelle la césure, et
chaque partie du vers s'appelle l'hémistiche.
Hémistiche vient
du grec hémi-stichos (demi-vers).
Boileau a donné le précepte et l'exemple
dans ces deux vers :
Que toujours dans vos vers | le sens, coupant les
mots,
Suspende l'hémistiche, | en marque le
repos.
Dans le vers de dix syllabes, le repos
se trouve d'ordinaire après la quatrième :
Si j'étais roi, | je voudrais être juste,
Et dans la paix | maintenir mes sujets. (Voltaire.)
La césure ne doit pas tomber sur des mots que
le sens et la prononciation réunissent. Ainsi les vers
suivants
seraient défectueux :
Adieu, je vais | à Paris pour affaires.
A l'instant que j'aurai | vu venger son trépas.
Du moins avant | qu'on ouvre la barrière.
Les vers de huit
syllabes et au
dessous n'ont pas de place régulière pour la césure.
Des accents
La césure doit toujours tomber sur
une syllabes
accentuée, c'est-à-dire marquée
de l'accent tonique. Une syllabe muette ne peut donc jamais
se trouver à la césure. Ainsi les
vers suivants seraient
vicieux
:
L'ingrat, il me laisse | cet embarras funeste.
Mais bientôt les prêtres | nous ont enveloppés.
Ils deviennent réguliers si l'on met, en transposant les mots :
Il me laisse, l'ingrat | cet embarras
funeste. (Racine.)
Mais les prêtres bientôt | nous ont enveloppés.
(Id.)
Une syllabe muette peut être placée à
la fin du premier hémistiche à condition d'être
élidée
:
Je vois que l'injustice | en secret
vous irrite. (Racine.)
Il y a donc dans les vers
deux syllabes accentuées
: l'une à la césure et l'autre à la rime. Mais en
dehors de ces accents toniques occupant une place fixe dans le vers, il
y aussi d'autres accents :
Ainsi dans les vers de Racine :
Ce dieu, maître absolu de la terre
et des cieux,
N'est point tel que l'erreur le figure à
vos yeux :
L'Éternel est son nom ; le monde est son ouvrage.
Il entend les soupirs de l'humble qu'on outrage,
Juge tous les mortels avec d'égales lois
;
Et du haut de son trône interroge les rois.
La voix s'élève sur les syllabes en italique, tandis
que les autres syllabes restent atones.
En français certains mots, surtout des monosyllabes
(des prénoms, des prépositions, etc.) perdent leur accent,
parce qu'ils se lient par la prononciation au mot suivant. Ainsi dans :
Nous sommes, il vient, le peuple, avec toi,
etc., il n'y a réellement qu'une syllabe accentuée, parce
que l'on prononce comme si les deux mots n'en faisaient qu'un.
De même, dans l'énoncé
d'un vers, certains mots attirent à eux tous l'effort de la prononciation
et représentent les temps forts ; les autres mots représentent
les temps faibles. C'est ce mélange des temps forts et des temps
faibles qui forme le rythme du vers et produit
l'harmonie.
De plus, si la place des deux accents principaux
est immuable à la césure
et à la rime, celle des autres
accents n'est pas fixe, le nombre n'en est même pas limité.
C'est grâce à ces accents que le poète peut varier
la cadence et rompre la monotonie de notre alexandrin. Les vers
de Racine
que nous avons cité plus haut renferment au moins quatre accents
; c'est le nombre que semble réclamer le vers de douze
syllabes.
Au-dessous de quatre, il est faible ; au-dessus de six, il
devient lourd.
Ainsi ce vers de Molière :
Vous jure amitié, foi, zèle,
estime, tendresse,
ressemble à une ligne de prose : la multiplicité des syllabes
accentuées fait qu'on n'en sent plus la mesure.
Au contraire le vers suivant est doux et harmonieux, bien qu'il ne
renferme que des monosyllabes ; mais cinq seulement sont accentuées.
Le jour n'est pas plus pur que le fond
de mon cœur. (Racine.)
[Mode hors prosodie 1893 ON]
De l'harmonie
On notera que ce texte plus que centenaire
n'évoque que très peu l'harmonie,
qui est issue des accents
où de la métrique. En particulier, deux
types d'harmonie imitative (cette
répétition de sonorités - combinée avec le sens des mots - qui permettent de suggérer certaines
impressions) sont bien connues
[LettreNet]
:
L'allitération est une répétition d'un même son
consonne.
Le cas le plus célèbre d'allitération se trouve chez
Racine :
Pour qui sont
ces serpents qui sifflent sur vos têtes. (Racine.)
Il s'agit ici d'une allitération en [S], le son s peut, par harmonie imitative, suggérer le sifflement ou le
glissement des serpents.
[LettreNet]
signale un amusant pastiche (d'après une idée originale de Bruno D.)
qui achèvera de vous convaincre que ce paragraphe ne fait pas
parti du cours de prosodie de 1893 :
Qui sont ces
usagés qui surfent sur nos sites. (Bruno D.)
Remarquez, si vous revenez sur la page principale des blagues, vous
constaterez que son titre (au sens HTML du terme, donc affiché dans
l'entête même de la fenêtre) comporte également une allitération
en s :
De l'insouciance
dans ce site si sérieux
Il ne faut pas confondre l'allitération avec l'assonance.
L'assonance désigne la répétition d'un même son voyelle dans un
énoncé et produit également une harmonie imitative. Par
exemple :
Lève,
Jérusalem, lève ta tête altière. (Racine)
Il s'agit ici d'une assonance en [è]. On tient compte ici des sons, et non des lettres. Ainsi, on
pourra trouver une assonance en [ou], [an], [on] etc.
[Mode hors prosodie 1893 OFF]
De la rime
On appelle rime l'uniformité
de son dans la terminaison de deux mots. Ainsi, une belle rime avec
rebelle ; loisir avec plaisir ; destinée
avec fortunée, etc.
La rime est dite masculine quand elle
a lieu entre deux syllabes qui ne se terminent pas par un
e muet.
Ex :
C'est pour toi que je marche ; accompagne mes pas
Devant de fier lion qui ne te connaît pas. (Racine.)
La rime est dite féminine quand
les deux syllabes sont terminées par un
e muet
ou par un
équivalent : ent, es. Ex :
Mon père mille fois m'a dit dans mon enfance
Qu'avec nous tu juras une sainte alliance. (Racine.)
Remarque : les troisièmes personnes du pluriel de l'imparfait et
du conditionnel en aient sont rangées parmi les rimes
masculines.
Au contraire voient, croient, déploient,
essaient, dans lesquels l'e compte
pour une syllabe, et
allient, oublient, etc. forment des rimes féminines.
On appelle rime riche celle qui présente
non seulement une consonance, mais encore toute une articulation pareille
: paisible et risible ; vers et divers ; père
et prospère, etc.
On appelle rime suffisante celle qui offre
une ressemblance de son, mais non d'articulation : timide et rapide
; soupir et désir ; espoir et recevoir,
etc.
La rime étant faite pour l'oreille, des
syllabes qui n'ont pas la même orthographe, mais qui ont le même son
peuvent rimer entre elles. Ex : charmant et tourment ; vanités
et méritez ; courts et discours ; amène
et peine, etc.
D'un autre côté, des syllabes
ayant la
même orthographe mais pas le même son ne peuvent rimer entre elles. Ainsi l'on ne pourra faire rimer altier avec fier
; enfer avec triompher ; aimer avec mer.
[Remarque : Nos poètes classiques l'on fait souvent. C'est ce que
l'on appelait rimes normandes, parce qu'en Normandie le r
final était toujours muet. Les pécheurs disent encore (le
"encore" veut dire "en 1888"!) la mé pour la mer.
Toutefois, ma grand-mère, en 2001, me signale que de telle pratiques
subsistent dans le patois normand. « Tais-toi la mé! » demande le silence à la mère - ou la grand-mère ! Et certaines expressions
locales portent encore cette pratique : « La rougie du sé
mets la mare à sé » (un ciel rouge couchant le soir - sé - mets la mare à
sec - sé -)]
On ne peut pas faire rimer :
-
un mot avec lui-même, comme pièce et pièce,
heure et heure ;
-
un substantif avec son verbe, comme arme et il arme ; je
soutiens et les soutiens ;
-
un mot simple avec son composé : jeter et rejeter,
prudent et imprudent ;
-
un mot au pluriel avec un mot au singulier : larmes et larme
; ils charment et il arme ; à moins que ce mot ne
soit terminé au singulier par un s ou un x, velours
et lourds, yeux et ennuyeux, etc.
Règle générale : une
rime masculine
ne doit pas être suivie immédiatement d'une rime
masculine différente, ni une rime féminine
d'une rime féminine
différente.
Les rimes
plates ou suivies
sont celles qui se succèdent par couple de deux, alternativement masculine
et féminine.
Les rimes
croisées sont celles
qui présentent alternativement un vers masculin
et un vers féminin,
ou encore deux rimes masculines séparées par deux rimes
féminines
suivies, ou réciproquement. Ex :
J'ai vu mes tristes journées
Décliner vers leur penchant ;
Au midi de mes années,
Je touchais à mon couchant.
La mort, déployant ses ailes,
Couvrait d'ombres éternelles
La clarté dont je jouis,
Et, dans cette nuit funeste,
Je cherchais en vain le reste
De mes jours évanouis. (J.-B. Rousseau.)
Les rimes
mêlées sont celles
dont la succession n'est soumise qu'à la règle générale
donnée ci-dessus. Ex :
Quel astre à nos yeux vient de luire ?
Quel sera, quelque jour, cet enfant merveilleux ?
Il fait le brave le faste orgueilleux,
Et ne se laisse pas séduire
A tous les attraits périlleux. (Racine.)
Les rimes
redoublées offrent le
retour de la même rime dans trois
vers au moins ; on en trouve un
exemple dans les vers précédent : merveilleux, orgueilleux, périlleux. On
a composé des pièces
de quelque étendue sur un petit nombre de rimes, ou même sur
une seule rime ; mais ce ne sont là que des jeux d'esprit.
L'origine du mot rime est incertaine ; peut-être
est-ce une abréviation du mot rythme, qui vient du grec (rhuthmos)
et signifie mesure, cadence.
Quant à l'origine de la rime
elle-même,
on ne trouve rien de précis sur ce sujet. quelques auteurs y voient
une imitation des vers latins appelés léonins.
Ces vers, dans lesquels la
syllabe finale d'un mot placé vers le milieu
du vers rime avec la syllabe
finale du dernier mot, se rencontrent souvent
chez les poètes latins, même dans Ovide et dans Virgile :
Fulmen erat, toto genitor quae plurima coelo.
(Virgile.)
Jus tibi fecisti numen coeleste videndi,
Quem placuit numeris condere festa tuiis. (Ovide.)
Cela vient surtout de ce que les Latins plaçaient
fréquemment à l'hémistiche du vers
hexamètre un mot qui se rapportait grammaticalement au dernier mot du
vers.
Les vers léonins, assez rares à l'époque
du classique, se multiplièrent dans les poèmes latins du moyen
âge. La rime s'associe aux rythmes métriques dans les chants
latins du peuple et dans les hymnes de l'Église, faisant double emploi
avec eux avant de les remplacer tout à fait. Dans les strophes du
Deus irae, les vers riment entre eux trois à trois :
Dies irae, dies illa,
Solvet seclum in favilla
Teste David cum Sybilla,
De même pour l'Alléluia et quelques autres hymnes.
Dans le Stabet Mater, les deux premiers vers
de
chaque strophe riment entre eux, et le troisième vers avec le troisième de la
strophe suivante :
Stabat Mater dolorosa,
Juxta crucem lacrymosa
Dum pendebat Filius.
Cujus animam gementem,
Constristatam et dolentem,
Pertransivit gladius.
De l'enjambement
Lorsque le sens ne se complète pas à
la fin du vers, il faut rejeter quelques mots au commencement du
vers suivant :
c'est ce que l'on appelle enjambement.
L'enjambement est permis quand on veut appeler
l'attention sur le mot rejeté, le mettre en relief. Ainsi, dans ce
vers des Plaideurs de Racine il y a enjambement et
enjambement prémédité :
... Puis donc qu'on nous permet de prendre
Haleine, et que l'on nous défend de nous étendre,
Je vais, sans rien omettre, etc.
De même, l'enjambement
est acceptable lorsqu'il y a réticence ou interruption. Ex :
N'y manquez pas du moins ; j'ai quatorze bouteilles
d'un vieux vin... Boucingot n'en a pas pareilles. (Boileau)
On atténue quelquefois
l'enjambement en le faisant suivre d'un développement qui complète
le vers. Ex :
Oui, j'accorde qu'Auguste a le droit de conserver
L'Empire, où sa vertu l'a fait seule arriver. (Corneille.)
Il voit plus que jamais ses campagnes couvertes
De Romains, que la guerre enrichit de nos pertes. (Racines.)
Je parlerai, Madame, avec la liberté
D'un soldat, qui sait mal farder la vérité. (Id.)
Licences poétiques
Les poètes écrivent
parfois voi, croi, reçoi, averti, etc.,
sans s. Ils peuvent également chosir entre grâce et grâces,
guère et guères, certe et certes, encore
et encor, etc. Mais ces licences poétiques ne sont que des archaïsmes
que les auteurs emploient pour les besoins du vers.
Vers de différentes mesures
On
appelle vers libres
les vers dans
lesquels on entremêle différentes mesures.
Dans ces sortes de vers,
les rimes sont
croisés
et quelquefois redoublées.
Les chœurs d'Ester et d'Athalie, les Fables de
La Fontaine sont écrits en vers libres.
On appelle stance un nombre
déterminé de vers qui
forment un sens complet. Les stance se nommes strophes
dans l'ode
et couplet dans la chanson.
Le plus long vers
français est celui de douze syllabes,
qu'on appelle vers alexandrin,
ou grand vers,
ou vers héroïque.
Ce vers
doit le nom d'alexandrin au poème d'Alexandre
le Grand, commencé par Lambert le Tors et continué par Alexandre
le Paris. L'auteur ou le héros a transmis son nom au vers.
On l'appelle encore vers
hexamètre, c'est-à-dire vers
de six pieds, le pied étant
considéré par quelques auteurs comme la réunion de deux syllabes.
Ex :
1 2
3 4 5 6 7
8 9 10 11 12
Celui qui met un frein à la fureur des flots
1 2 3 4
5 6 7 8 9 10
11 12
Sait aussi des méchants arrêter les complots. (Racine.)
On a vu que ce vers avait
une césure après la sixième syllabe et que
cette syllabe devait être toujours sonore.
Les vers
de onze et neuf syllabes
manquent d'harmonie
et ont rarement été
employés.
Le vers
de dix syllabes,
qu'on appelle aussi décasyllabe ou pentamètre,
convient au style narratif.
Une stance de
dix vers
s'appelle dizain.
C'était à l'origine notre vers
héroïque, et il est le plus souvent employé dans nos vieilles
chansons de geste [et vieille s'entend
"vieille en 1893" !]. Ex :
1 2
3 4 5 6
7 8 9 10
Si j'étais roi, je voudrais être juste
Et dans la paix maintenir mes sujets,
Et tous les jours de mon empire auguste
Seraient marqués par de nouveaux bienfaits. (Voltaire.)
Nous avons vu que ce vers
a une césure
après la quatrième syllabe
; quelquefois aussi la césure
se place après la cinquième, et alors
le vers est coupé en deux hémistiches
égaux, de
cinq syllabes chacun :
1 2
3 4 5 6
7 8 9 10
J'ai dit à mon cœur | , à mon faible
cœur :
N'est-ce point assez | de tant de tristesse ?
Et ne vois-tu pas | que changer sans cesse,
C'est à chaque pas | trouver la douleur ? (A. de
Musset.)
Le vers de
huit syllabes est
aussi l'un de nos plus anciens mètres ;
Une stance de
huit vers
s'appelle huitain ou octave.
on le trouve aujourd'hui
dans la plupart des vieux romans, contes et fabliaux [contes
à rire en vers,
du XIIème au XIVème siècle]. Il se prête à tous les
tons ; il convient à l'épître [lettre
en vers],
à la poésie descriptive, à l'ode [désigne un poème formé sur un groupe tripartite (triade), composé
d'une
strophe, d'une antistrophe (chacune sur le même mètre) et
d'une épode (sur un système particulier). Les triades se suivent, et
l'ensemble constitue l'ode],
à l'élégie [Ce petit genre poétique,
d'abord caractérisé uniquement par l'emploi d'une forme métrique, le
distique élégiaque,
s'est spécialisé chez les Latins dans un «lyrisme modéré et fleuri» faisant «la plus large part aux émotions personnelles du poète»],
etc. Ex :
Le Nil a vu sur ses rivages
Les noirs habitants des déserts
Insulter par leur cris sauvages
L'astre éclatant de l'univers.
Cris impuissants, fureurs bizarres !
Tandis que ces monstres barbares
Poussaient d'insolentes clameurs,
Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumières
Sur ses obscurs blasphémateurs. (Lefranc de Pompignan.)
[après vérification, ce sire fait parti au début du 18ème,
des antipholosophes et à ce titre, s'opposait à Voltaire.]
Le vers
de huit syllabes
s'unit bien au vers alexandrin peut
former des distiques (vient du grec dis-tichos -
deux vers -).
Ex :
1 2
3 4 5 6
7 8
Près de se voir réduire en poudre,
1 2 3 4
5 6 7 8
9 10 11 12
Ils défendent leurs bords enflammés et sanglants.
Voyez-les défier et la vague et la foudre
Sous les mâts rompus et brûlants. (Lebrun.)
Le vers
de six syllabes
est léger est gracieux.
Une stance de
six vers
s'appelle sizain
Ex :
1 2
3 4 5 6
Il est sur la colline
Une blanche maison ;
Un coteau la domine ;
Un buisson d'aubépine
En fait tout l'horizon. (Lamartine.)
Dans les strophes
on le
voit fréquemment mêlés avec d'autres vers.
Ex :
La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles :
On a beau le prier ;
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles
Et nous laisse crier. (Malherbe.)
Le vers
de cinq syllabes
se joint ordinairement à des mètres plus longs.
Une stance de
cinq vers
s'appelle quintil
Il a cependant été employé seul par Mme Deshoulières dans son
idylle bien connue [enfin... bien connu en
1893...] :
Dans ces prés fleuris
Qu'arrose la Seine,
Cherchez qui vous mène,
Mes chères brebis.
Les vers
au dessous de cinq syllabes
se rencontrent rarement seuls.
Vers de
quatre syllabes. [aussi
désignés sous le terme de quatrain]
Une stance de quatre vers
s'appelle quatrain
Ex :
Rompez vos fers,
Tribus captives ;
Troupes fugitives,
Repassez les monts et les mers. (Racine.)
Vers de
trois syllabes.Ex :
La cigale ayant chanté
Tout l'été. (La Fontaine.)
Dame bergeronette
Mire sa gorgerette
au flot clair. (A. Theuriet.)
Vers de
deux syllabes. Ex :
C'est promettre beaucoup ; mais d'en sort-il souvent ?
Du vent. (La Fontaine.)
Elle garde la fleur fidèle,
Et depuis, cette fleur s'appelle
Souviens-toi
De moi. [(?.)]
Vers d'une
syllabe. Ex :
Et l'on voit des commis
Mis
Comme des princes,
Qui jadis sont venus
Nus
De leur provinces.
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