Cadre informaticien :
composantes
Travailleur du
savoir
Première composante majeure : un cadre
informaticien est toujours un travailleur du savoir, tel que
décrit par [PDrucker95].
Il s'agit de quelqu'un qui développe une habitude nouvelle,
celle d'apprendre en permanence. Il possède ainsi son outils
principal de production : son savoir.
Cette caractéristique explique en partie pourquoi le nombre
de cadre (dont les informaticiens) augmente : il s'agit de la
4ème et dernière catégorie sociale, fruit d'une évolution
de la société où le centre de pouvoir est passé du
fournisseur - producteur - au distributeur, puis au
consommateur.
Les catégories fondatrices des sociétés
ces derniers siècles ont été les paysans et les
domestiques. L'importance croissante de la production a fait
émerger la société industrielle du 19ème siècle, et
l'apparition de la 3ème catégorie : les ouvriers. Il
s'agissait là d'une chance d'améliorer son statut sans
immigrer.
Mais la consommation de savoir n'a cessé
d'évoluer, parallèlement au gains de productivité de la
société industrielle, et ces 50 dernières années ont vu
l'apparition d'une société (de consommation) du savoir, dans
laquelle les travailleurs du savoir remplacent peu à peu les
ouvriers, comme les ouvriers avaient peu à peu remplacé les
paysans (ceux-ci étant aujourd'hui fort peu nombreux).
Si beaucoup de techniciens informatiques
peuvent se considérer à juste titre des travailleurs du
savoir, il faut bien réaliser que le cadre que vous êtes
est tenu responsable de sa contribution. Il s'agit donc de
rendre son produit, autrement dit son savoir, exploitable.
Employé
Cette composante ne nie pas l'existence des
informaticiens indépendants, mais vient rappeler qu'un cadre
est une catégorie qui ne dépend pas d'autres individus, mais
bien d'une organisation (présentée dans
l'article organisation).
Autant un apprenti ou un ouvrier travaille pour un
"maître" (individu clairement identifié), autant
un travailleur du savoir (donc ici, un cadre informaticien)
travaillera pour une organisation. L'organisation permet la
collaboration efficace de ces travailleurs qui, s'ils étaient
pris individuellement, apparaîtraient beaucoup plus comme des
centres de coût que de performance. C'est l'organisation qui
fait la tâche.
Un informaticien spécialiste de la finance apportera toute sa
valeur ajouté au sein, par exemple, d'une salle de marché
d'une banque. Et même là, il sera considéré (je l'ai
vécu) comme une ressource "qui coûte cher" et dont
on ne perçoit pas immédiatement les bénéfices. Les traders
sont bien plus récompensés! Pourtant, ce même ingénieur ne
saurait fournir un service aussi efficace en restant seul, ne
serait-ce parce que les règles de trading sont bien plus
favorables aux banques qu'aux particulier...
Cette appartenance quasi-obligatoire à une organisation
entraîne un statut d'employé, ce qui ne veut pas dire
nécessairement salarié (on peut être consultant,
prestataire de service, ou encore partie intégrante du
personnel). Dans tous les cas, le travailleur du savoir est
employé (par son organisation) : il dépend de son poste,
touche un salaire ou un traitement, est recruté ou licencié.
Appliqué aux cadres informaticiens, cette caractéristique
explique également leur profusion. La société actuelle
n'est plus composé que d'organisation.
Il existe des myriades de structures (service public,
hôpital, université, entreprise, ...) susceptibles de
recourir à leurs fonctions.
Patron
On l'a vu, un cadre informaticien se doit
d'apprendre en continue, donc de gérer son "capital
savoir", se gérer soi-même. C'est en soi une petite
révolution, puisque cela amène ce travailleur à penser et
se comporter comme un patron. Il ne s'agit plus de juste faire
ce qu'"on" nous dit de faire. Cette composante-là,
cette capacité d'adaptation et de force de proposition, est
fondamentale pour un ingénieur informaticien, qui se doit
d'apporter des solutions (et non juste d'exécuter des tâches
prédéfinies) dans tous les types de mission qu'il aura à
effectuer (réalisation technique, conseil, audit, assistance,
...). Cela le différencie d'autres informaticiens, également
travailleurs du savoir (BTS, DUT, etc..), mais qui n'auront
pas à mettre en œuvre (du moins dès leur début de
carrière) cette aspect de ce qui fait un cadre.
Cette gestion du savoir entraîne
également 2 conséquences majeures :
- dans une société aux organisation en constante fluctuation
(déjà relevé dans le premier article, dans le paragraphe précarité),
il vivra et travaillera plus longtemps que l'organisation qui
l'emploie ;
- il bénéficie d'un atout qu'aucune autre catégorie sociale
ne disposait facilement avant lui : la mobilité.
Une illustration concrète de cet aspect "patron"
concernant les ingénieurs informaticien se retrouve dans les
années 2000-2001
où de nouvelles organisations (les start-up)
ont entraîné une forte mobilité de ces cadres - même
débutants - propriétaires de leur savoir, et prêt à
l'appliquer dans des domaines innovants (internet,
architecture distribuée), où une dose d'initiative est
nécessaire.
Qu'est-ce qu'un cadre ?
Avant d'examiner les différents profils de
cadre que vous serez amenés à endosser, il est enfin temps
de répondre à la question qui motive ce dossier. Et
c'est
[PDrucker66]
qui apporte une réponse simple :
« Tout travailleur du savoir est un "cadre" lorsque, du fait de sa
position ou de ses connaissances, il porte la responsabilité d'une contribution
affectant matériellement la performance de cette organisation et ces
résultats.
Ce cadre ne se contente pas d'exécuter des ordres, il doit
prendre des décisions, se savoir responsable de sa contribution, et il est
supposé, en raison de son savoir, être le mieux équipé que quiconque pour
prendre la bonne décision.
Il peut être désavoué, rétrogradé ou licencié, mais
tant qu'il occupe son poste, les objectifs, les normes et la contribution
restent sous son autorité. »
Si l'aspect encadrement n'est pas mis en
avant dans cette définition, c'est bien parce qu'elle
reconnaît que l'autorité conférée par le savoir est aussi
légitime que l'autorité hiérarchique, les décisions étant
de même nature. Un décisionnaire, qu'il soit manager
ou spécialiste (comme l'ingénieur informaticien en début de
carrière), devra toujours planifier, organiser, intégrer,
motiver, évaluer.
Cadre Informaticien : profils
C'est en examinant la nature de la
société post capitaliste et de ses "travailleurs du
savoir - employé et patron -" que l'on peut discerner
les grands types de cadre aujourd'hui en vigueur.
En effet, cette société est à la fois basée sur le savoir
et sur les organisations, dans une dépendance mutuelle. Elle
fonctionne sur 2 cultures :
- l'intellectuel, centrée sur le
langage et les idées ;
- le manager, centré sur les hommes et
leur travail.
L'intellectuel a besoin de l'organisation comme
d'un outils : elle lui permet d'exercer son technê,
son savoir spécialisé (ici, l'informatique et toute sa
technique).
Le manager considère le savoir comme un moyen
d'améliorer l'efficacité de l'organisation.
Ces 2 grands types de cadre se complètent avant
tout : l'intellectuel, s'il n'est pas complété par le
manager, crée un monde où chacun fait ce qu'il veut, mais
où personne ne fait rien (comme le rappelle avec humour cette
blague).
Le monde du manager, s'il n'est pas complété par
l'intellectuel, devient une bureaucratie.
Intellectuel (ou
spécialiste)
Il s'agit du profil de base, dans laquelle le
jeune cadre informaticien que vous êtes commencez votre
carrière. Vous êtes cadre (possédant les caractéristiques
mentionnées précédemment), mais un cadre spécialisé,
technique.
Alors certes, vous n'encadrez pas grand monde, comme le fait
remarquer le premier
article, mais on attend de vous, comme de tout cadre, une
performance dont vous devrez rendre compte.
Cette performance est basée sur votre savoir :
on attend qu'il soit exploitable, avec une valeur ajoutée
dont, en tant que cadre, cous aurez à répondre directement.
Pour rendre votre production (l'application de votre savoir,
largement technique en début de carrière, puis plus
orientée fonctionnelle et métier ensuite) applicable, vous
devrez mettre en oeuvre des qualité de cadre qui dépassent
les seules compétences techniques.
Cela passera par une relation efficace avec
les autres travailleurs du savoir avec lesquels vous serez
amené à travailler. Donc, par la mise en oeuvre d'une bonne
communication, d'un travail en équipe, d'un progrès
personnel et d'un progrès d'autrui.
On l'oublie souvent, mais un cadre qui fait bien son travaille
progresse (par exemple sur le plan technique ou fonctionnel),
mais fait également progresser les autres (en proposant, par
exemple, des frameworks suffisamment bien pensé pour
permettre aux autres ingénieurs informaticiens de mieux se
concentrer sur les aspects métiers de leur système
informatique).
Cela impliquera également de comprendre ce que
l'on attend de vous, et pourquoi. Il faut aussi comprendre ce
que font les gens qui utilise cette production du savoir.
S'intéresser aux objectifs de performance de son organisation,
c'est obtenir d'un cadre performance et résultat.
Concrètement, tout technicien de
l'informatique peut développer un système d'information
J2EE. Un cadre devra organiser ce développement en prenant en
compte toutes les finalités métiers (afin de bien maîtriser
les processus métier à implémenter, d'où parfois une
mission d'audit) et contraintes de performance de ce-dit
système (par exemple, contraintes temps réel pour un
système front-office, ou des contraintes de volume de
traitement pour du back-office), faire des PoC (Proof of
Concept, ou encore des prototypes, qui débouche sur du
conseil de solution), et en déduire les meilleures solutions
tant applicatives (découpage en applications bien
découplées) que technique (pas d'EJB Entity, par exemple)...
le tout dans un cadre d'accompagnement à la mise en oeuvre
technique ou d'assistance (en tant que régie, ou en tant que
consultant).
Poussé suffisamment loin, ce type de
profil débouche sur l'expert,
un travailleur du savoir intellectuel qui a poussé sa
spécialisation suffisamment loin. C'est aussi une personne difficilement
interchangeable en interne, et dont le remplacement est long
et coûteux.
Manager
Ce profil est facilement accessible au travers du
seul exemple de cadre informaticien cité dans le premier
article : celui de chef de projet.
[CFalcoz]
décrit un manager dont les caractéristiques principales sont
leadership et adaptabilité, bien sûr capable d'apprendre de
nouvelle technique (comme par le passé), mais aussi de
nouveaux comportements face au client (ce qui, si l'on reprend
l'exemple du chef de projet, peut mener à des pièges du type
'flip').
Cette adaptabilité englobe les registres :
- cognitifs (savoir) ;
- lié à l'expérience (savoir-faire, aptitude
professionnelle) ;
- lié aux attitudes (savoir-être).
Cette compétence et cette adaptabilité sont
avant tout au services des autres travailleurs du savoir, pour
coordonner leurs travaux, les rendre les plus efficaces
possibles et ainsi améliorer les services rendus par
l'organisation. Cela implique une déconnexion entre maîtrise
du métier et encadrement de professionnel. Cette dernière
caractéristique - l'encadrement de professionnels - est
présentée par [CFalcoz]
comme une capacité d'animation, où le manager
évolue dans un esprit d'entrepreneur, en assurant une
perception (des besoins du client, des attente de
l'organisation, ...), en fixant des objectifs et une vision
stratégique, puis en organisation un travaille collaboratif
au sein duquel il saura communiquer ses attentes, et
déléguer ses missions.
Bien sûr,
[CFalcoz]
insiste sur d'autres qualités attendues d'un manager :
conviction, courage de dire, mais aussi "bien décrypter
le système", "s'engager à fond" et enfin
"accepter de jouer le jeu (au moins
officiellement)"... Il faut bien réaliser qu'il s'agit
de qualités de survie indispensables à un manager français,
car il évolue dans une culture de l'implicite
(comme le rappelle l'article Informaticien
et Français ? - Implicitement - Dur!).
C'est pourquoi - dans un milieu français,
[CFalcoz]
ajoute : "Plus de doute : nager dans le flou ou assumer
ses missions sans grande visibilité devient une nécessité
pour le manager qui doit en outre dégager de la valeur
ajoutée et motiver son équipe!". Dans une culture plus
explicite, les objectifs sont plus clairement fixés, les
responsabilités aussi... or, la culture française est
d'abord celle de la non-responsabilité (comme
l'illustre avec humour ce dessin).
Enfin, [CFalcoz]
nous rappelle qu'en France, la technique est peu reconnue et
que les ingénieurs ayant actuellement un avenir sont ceux qui
abandonnent rapidement la technique pour le management! Il
s'agit encore d'une caractéristique culturelle, la France
ayant du mal à reconnaître les responsabilités et
promouvoir l'excellence technique, elle se rabat sur un
schéma plus familier : celui du "chef" (issu d'une
culture féodale multi-centenaire).
Haut potentiel
Ce troisième profil reste dans la culture du
manager, mais possède des critères qui sont apparus plus
récemment que ceux du manager.
[CFalcoz]
parle de "cadre à haut potentiel", qu'il résume
par l'équation suivante :
capacité à manager +
capacité pressentie à évoluer +
pari sur la capacité à devenir dirigeant = potentiel.
Ce cadre à haut potentiel se doit d'être un
généraliste possédant une très bonne théorique et
pratique des principes de gestion, des métiers de son
entreprise, de ses stratégie et de sa culture. On peut
mesurer alors la distance qui sépare le jeune cadre
informaticien de ce profil, distance non en nombre d'année,
mais en investissement et apprentissage complémentaire, tant
sur le plan de la gestion que sur le plan fonctionnel
(maîtrise du métier et de ses process).
Les possibilités "transverses" déjà
présentes pour les managers sont ici poussées à l'extrême,
en terme de mobilité, de responsabilité, d'évolutions de
poste, ... Il s'agit alors pour les chefs d'entreprise de
fidéliser ces "cadres à haut potentiels" afin de
les faire évoluer vers des postes clés. Ce type de cadre ne
connaît pas de pratique de flexibilité via la
réduction du temps de travail. C'est lui qui poste la
flexibilité, parce que polyvalent, généraliste, capable
d'apprendre tout au long de sa vie professionnelle, et
possédant un vrai pouvoir de décision : décision et mise en
oeuvre de la flexibilité des structures : il décentralise,
délègue, modifie l'organisation de travail.
En informatique, on rencontre plus fréquemment
ce type de parcours dans les sociétés de conseil, de culture
anglo-saxonne, où ce type de hiérarchie est clairement mise
en place (par exemple, "analyste - consultant - manager
-partner". En France, ce cadre est victime des traits
culturels français, où l'on est très axé sur les relations
(importance du carnet d'adresse) et moins sur la tâche, d'où
un carriérisme poussé et un passage trop rapide dans certain
poste ce qui entraîne un manque de continuité dans le
management...
Conclusion
Cet article doit vous aider à mieux comprendre
en quoi vous possédez le statut cadre, tout ingénieur
informaticien que vous êtes. Ce statut n'est plus celui du premier
article, issu du monde industriel où le cadre "chef
d'équipe" encadrait son équipe d'ouvrier.
Ce statut est remodelé par une société
du savoir, où son travailleur est à la fois employé par une
organisation, mais aussi patron - de sa production, sa
capacité d'innovation et de proposition, responsable de sa
valeur ajoutée.
Il est important de réaliser que pendant
toute votre carrière, vous évoluerez constamment entre 2
cultures : cadre intellectuel et cadre manager. À tout
moment, le jeune informaticien peut passer chef de projet,
débuter ainsi dans le management et évoluer vers la
direction (et le troisième profil de cadre).
Après avoir mesuré l'importance l'organisation,
vous ne pourrez progresser dans votre appréhension de votre
rôle de "cadre-ingénieur informaticien" qu'en
connaissant et maîtrisant ces 2 cultures.
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