Mais
c'était quoi, ce bug ?
Vous l'avez tous constaté, le bug de l'an 2000 était
largement surestimé. Et pourtant, des centaines de millions de
francs, pardon, d'Euros y ont été consacrés... pourquoi ?
Certes, pour une
petite partie des logiciels, il s'est bel et bien agit de réécrire
certaines procédures qui, n'ayant pas codé les dates
correctement, n'auraient pu "passer l'an 2000".
Certes, mais cela n'a jamais été le seul enjeu. D'autant que
tout le monde sait maintenant qu'il y aura d'autres
"janvier 2000", et cela bien avant l'an 3000
(cf.
[Y2KBug]). Quant à ceux qui ont codé
les dates en se prévoyant une marge "confortable",
ils ont généralement pensé à ce problème il y a... quelque
25 ans!
Alors, de quoi
s'agissait-il ? Ce même consultant
expérimenté lève un coin du voile. L'an 2000 a été l'occasion de mettre en place de gigantesque plate-forme de
test. Tout ce qui se passait "en prod" (c.à.d.
"en production", dans le
cadre normal d'exploitation des systèmes informatique) doit
pouvoir être dupliqué. Tous les flux (financiers, requêtes,
transactions, ...) doivent pouvoir être simulés sur une ou
plusieurs plate-formes dites "d'intégration".
Les
systèmes devenant de plus en plus complexes, leurs
architectures
de plus en plus hétérogènes (surtout celles impliquant de l'intranet ou de
l'Internet), il s'avérait
indispensable d'arrêter tous les projets en cours et de
mettre en œuvre une véritable politique de tests et de
qualité. Si cette phrase ne reste d'habitude qu'une déclaration
d'intention dans un quelconque schéma directeur, l'arrivée
de l'an 2000 a été l'occasion unique de transformer
cette bonne intention en réalité.
La
reprise, c'est fini ?
1999 et début
2000 ont été euphoriques. Entre les projets Euro et an 2000,
on ne savait plus où donner de la tête. En plus, la
croissance était de la fête. Le tout s'est même traduit
par une spectaculaire envolée de la bourse, au travers du
CAC40 qui, parti en dessous des 6000 a taquiné les 7000...
avant d'amorcer une non moins spectaculaire dégringolade en
3 petits mois (avril, mai, juin 2000).
Aujourd'hui
(février 2001), l'an 2000 est passé, l'Euro est déjà
opérationnel (les banques ne fonctionnent plus que en Euros,
en interne ou pour leurs opérations boursières)... bref,
reste-t-il des grands projets à réaliser ? La demande
de prestations va-t-elle continuer sur sa lancée ?
Des
grands projets, d'une envergure européenne ou mondiale, il n'y en a peut-être plus. Mais entre temps, un phénomène,
mondial lui aussi, a tout balayé pour finalement rattraper
la France : l'Internet chez le
particulier. Encore confidentiel il y a 4 ans, les
publicités vantant les mérites de ce média s'étalent
aujourd'hui dans tous les journaux. Tout le monde est
convaincu qu'il se doit d'avoir
"pignon sur net".
Il faut pouvoir offrir ses services sur
Internet. Que ce soit la consultation de son compte bancaire,
du choix de la couleur de sa prochaine voiture (que l'on
peut admirer maintenant en 3D et sous toutes les coutures), même
le choix de son prochain toutou ou encore la liste de ses courses dans un
supermarché virtuel, toutes les entreprises se doivent
d'étendre leur visibilité via Internet.
Et je dis bien "visibilité", car
le chiffre d'affaire est encore timide : d'abord tous
les particuliers sont loin d'avoir acheté l'équipement
onéreux qui va avec une connexion Internet. Ensuite, l'achat sur le net fait encore peur, et on en donne pas son
n° de carte bleue comme ça. Qu'à cela ne tienne. Les
potentiels sont jugés exceptionnels et chacun veut
"distribuer" ses services.
[Attention, cela cache une crise
!...]
Pour preuve cet article de SVM février
2001, qui fait état de 30% des foyers français équipés
d'un micro, mais de 17% seulement connectés au net. Le
score est encore bien en deçà des autres pays européen,
mais le potentiel existe... en France et surtout dans les
autres pays européens.
Conséquence
de tout ce remue-ménage ? Facile :
- d'un côté, on trouve l'informatique de
l'entreprise
qui souhaite exporter ses services sur le net. Si l'on prend
les assurances ou les banques par exemple, 80% des systèmes
informatiques sont encore basés sur le COBOL...
- de l'autre côté, on retrouve le client final, avec son
système informatique (il y en a plusieurs...) et son browser
(heu, "navigateur Internet" et il y en a plusieurs
aussi, chacun avec 2 ou 3 versions plus ou moins récentes en
circulation). Au milieu, il s'agit de récupérer les requêtes
de cet utilisateur, les transmettre à l'entreprise qui doit s'occuper des problèmes de sécurité et
d'unité
transactionnelles (en terme d'unité d'œuvre, avec des
COMMIT ou des ROLLBACK potentiels), ainsi que des problèmes
de reprise sur erreur (n'importe quel élément de cette chaîne
peut tomber à tout moment). Une fois le traitement effectué,
il n'y a "plus qu'à" composer une page de réponse...
sans oublier que la-dite page sera différente suivant le
navigateur utilisé.
Bref,
c'est un bord... monstre, un fout..., c'est très très
complexe, quoi !
Or
il y a toujours pénurie d'informaticien en France. Pire, il
y a toujours pénurie en Allemagne, en Angleterre, au Canada
ou aux États-Unis. Donc, les informaticiens français non
seulement trouvent encore aisément du boulot ici, mais
peuvent, s'ils le souhaitent, s'expatrier sans trop de difficulté& ce qui n'arrange pas les effectifs
nationaux.
Enfin,
vu la complexité de la problématique Internet, il est rare
qu'une seule personne, même fraîchement diplômée et au
fait des dernières technologies, puisse suffire à elle
seule. En effet, toute entreprise qui s'exporte sur le Net
doit composer avec son existant : d'un côté, elle
utilisera des EJB (par exemple), de l'autre elle fera le
lien avec ses traitements batch COBOL... langage peu connu des
nouveaux diplômés.
Conclusion :
il y a toujours du taf, et il n'y a toujours pas assez de
monde pour y faire face.
Start...
down, SSII up ?
Autre
phénomène de cette fin de 20ème et début de 21ème
siècle, l'apparition de ces jeunes pousses dynamiques a
enthousiasmé la "net-économie" ! Innovation,
qualité, audace... autant de mensonges que le Scarabé dénonçait
il y a plus d'un an [NetNews], ne voyant dans ces
start-ups qu'une arnaque boursière : les investisseurs
n'avaient d'autres moyens de se rembourser que dans la
valorisation boursière de leurs protégés, dont le concept
était 9 fois sur 10 pas viable économiquement. Du coup, en
avril 2000, tout le monde se réveille et le cours de la
bourse se remet à un niveau normal, fauchant net au passage
un sacré paquet de ces jeunes pousses. (cf. aussi
les vaches et la nouvelle économie).
Certes, la
bourse et les stock-options ont permis - un temps - le développement
de ce type de petite société. Mais en décembre 2000, les
chroniques du menteur révélait une autre raison fondamentale
de l'existence même de ce type de société.
Imaginez un peu... vous êtes
une grande entreprise qui vient de réaliser qu'elle doit maîtriser
un grand nombre de nouvelles technologies comme celles évoquées
dans le paragraphe précédent, dans le cadre d'Internet.
Et que voyez-vous ? Des tas de petites
sociétés, composées de quelques personnes chacune,
travaillent d'arrache pieds pour les maîtriser ! Et je
ne parle pas de 35 heures, je parle d'auto-formation 24
heures sur 24, avec application dans un site Internet dont le
concept et l'utilité importent peu : de toutes façons,
au bout d'un an ou deux, la situation de cette jeune pousse
sera la même : pas assez rentable pour songer à
rembourser ses investisseurs (puisque même la bourse les lâche),
mais très compétente dans l'Internet. |
Start...
down, SSII up ?
Et que fait la grande entreprise ?
Elle rachète la petite, offrant à ces jeunes locataires
frustrés des conditions salariales intéressantes, de vrais
moyens matériels, le rachat de leurs dettes, et un projet
Internet souvent bien différent du leur, mais qui au moins
leur donne une deuxième chance de faire "mieux", c'est-à-dire rentable et fiable. Quelque soit le coût de
ce rachat, il sera toujours inférieur à celui de la
formation de personnels en interne. En plus, ce rachat peut se
matérialiser sous la forme d'une petite filiale, un GIE
(Groupe d'Intérêt Économique) dont la Convention
Collective sera non celle de la grande entreprise (comme une Banque), mais bien plus simplement... la Syntec.
N'y voyez pas pour autant en ces jeunes
entreprenautes de simples victimes bernées.
Certes, le destin de leur jeune entreprise est souvent la
rachat (avec une belle plue-value, en règle générale). Mais
pour eux, l'aventure ne s'arrête pas, elle peut très bien
tout simplement continuer.
En effet, ils peuvent trouver dans leur
nouvel employeur l'occasion de compléter leur formation sur
les plans "gestion", "rentabilité",
"vrai business-plan". Après quelques années, les
plus entrepreneurs d'entre eux pourront retenter l'aventure de façon bien plus professionnelle.
En attendant, ce type de
comportement (ne pas former en interne, mais racheter des compétences
externes) est également un indice qui explique la bonne santé
actuelle des sociétés de services. Certes, comme le paragraphe
sur la reprise le rappelle, le travail ne manque pas et il semble normal que les
demandes de prestation ne ralentissent pas. Mais n'oublions
pas qu'une bonne partie du travail actuel implique la mise
en œuvre de technologies récentes (7 ans ou moins, puisque
la vulgarisation d'Internet ou encore l'apparition de Java
datent de 1995). Depuis 1995, ces mêmes techniques ont considérablement
évoluées, les EJB sont apparues, CORBA s'est concrétisé,
le HTML est devenu dynamique, le JavaScript s'est vu dédoublé
entre certains navigateurs, le XML vient s'intercaler entre
toutes les applications... bref, former du personnel en interne
et lui donner les moyens de suivre toutes ces évolutions coûte
tout simplement trop cher.
En revanche, tout déléguer à une
société externe est bien plus facile. Dans ce cas, la-dite
société externe a la responsabilité de fournir des compétences
à jour. Pour cela, elle peut soit former ses collaborateurs
aux dernières évolutions (si elle le souhaite ainsi) ou en
recruter de nouveaux, débutants tout juste diplômés et ne
coûtant pas trop cher (sur le plan du salaire s'entend).
Ces "sociétés externes"
existent et elles se nomment SSII. J'ai beau rappeler tous les inconvénient d'un prestataire, souvent
mal vu par le personnel interne d'une grande société, celle-ci est bien contente de bénéficier, via des contrats
renouvelables tous les 3 mois, d'un personnel
"souple", compétent, dont on peut interrompre à
tout moment l'activité sans autre plan social ou
licenciement compliqué.
Ces SSII sont donc intéressantes,
car non seulement elles n'ont pas trop de mal à fournir des
prestataires, mais en plus, en ce moment elles vont même
jusqu'à assurer leur formation ! Elles vont
parfois jusqu'à des
période d'adaptation. Et ce pour une raison
très simple : elles ont du mal à embaucher... pénurie
oblige. Même celles qui se consacrent exclusivement à de la régie ne peuvent plus appliquer leur stratégie classique : embaucher,
louer les prestations du débutant, ignorer ses demandes de
formations et/ou d'augmentation, embaucher d'autres débutants,
moins cher et plus adaptés aux nouvelles technos.
Aujourd'hui, la demande est telle que ces
sociétés doivent faire avec les prestataires à leur
disposition. Attention aux "grands loueurs
de viandes professionnels", ceux dont les effectifs dépasse très largement le
millier de prestataires et dont l'activité principale est d'embaucher... seul ce type
d'entreprise a encore les
moyens d'ignorer la formation de ses personnels.
Pour l'instant, la régie
et même le forfait ont le vent en poupe. Et l'informaticien reste une denrée rare.
[D'où la pré-embauche
évoquée dans le slide
n° 13 de la présentation
"Prestataire en SSII".
Cf. aussi le slide
n° 20] Ce
type de situation induit un dernier phénomène de ce début
de millénaire.
Le candidat est roi ... et amnésique ?
Tous les
responsables de recrutement avec qui j'ai eu l'occasion de
discuter me font part d'un même malaise. Les jeunes
candidats n'ont pas de mémoire. Ils ignorent complètement
la situation du
marché de l'emploi d'il y a quelques années et ont
tendance à considérer ce même marché comme étant sans
hystérésis (donc un marché de l'emploi dont le futur ne
serait en rien influencé par le passé).
Or ces candidats oublient un fait très
simple : lorsqu'ils sont embauchés, ils ont "le
passé" sous les yeux : celui qui les embauche a, en
général, plusieurs années d'expérience professionnelle,
a vécu le-dit passé dont les candidats ne veulent pas
avoir conscience et connaît une grande Loi de ce marché du
travail : si ce dernier ne se répète pas, il lui arrive
de bégayer. En clair, il y a des cycles et la période faste
d'aujourd'hui peut laisser place à une situation plus
"tendue" demain (et ça n'a pas loupé : 2002), comme cela a déjà été le cas par
le passé.
Et alors ? Alors en
attendant cette hypothétique prise de conscience, les
candidats actuels, surtout les débutants, ne se posent pas de
questions, me confient les recruteurs. Ils arrivent, s'installent, mettent les pieds sur la table, rotent un coup
et s'enquièrent des raisons qui pourraient leur faire
envisager de commencer à considérer cette proposition
d'embauche (cf. aussi Nature
et objet d'une organisation). Ils ne réalisent pas que, ce faisant, ils
laissent une impression indélébile sur leur interlocuteur.
Et cette impression les suivra, d'abord au sein même de
leur entreprise, d'entretien
d'évaluation en entretien d'évaluation. Il arrive même que cette "réputation" se retrouve colportée
chez d'autres responsables de recrutement, car eux aussi
changent d'entreprise ou discutent entre eux.
Une telle attitude peut avoir
des conséquences aussi bien sur le salaire (qui évoluera avec une mauvaise volonté évidente), sur la qualité des missions
fournies, sur l'évolution des responsabilités...
Certes, actuellement ces différents
aspects de la vie professionnelle en SSII peuvent malgré tout
évoluer (puisqu'on vous dit qu'on ne trouve personne
en ce moment), mais cela peut également donner un faux
sentiment de confiance et de sécurité et, le jour où
l'on fait carrière dans une "vraie" société (c'est-à-dire qui utilise
l'informatique mais dont le métier n'est pas, à la base, de faire de
l'informatique - exemple, les banques -), on peut très vite déchanter (cf.
licenciement). Le potentiel du candidat et son
implication dans ses différentes activités sont
aujourd'hui parfois reléguées - en apparence - au
second plan en SSII, mais sont les fondements même de toute
carrière.
Chronique sans fin ?
Alors que tout
le monde scrute les premiers signes d'une récession, d'un
ralentissement de l'économie mondiale, l'informatique ne
se pose pas de question et continue à "virtualiser"
le commerce et sa net-économie.
Dans ce secteur professionnel
très particulier, ce qu'il convient de surveiller demeure
plutôt la conjonction de 2 événements :
-
le moment où les effectifs d'informaticiens
rejoindront enfin la demande,
-
le moment où les "vraies sociétés" intégreront
complètement l'informatique au sein de services composés
majoritairement de personnel interne et non, comme c'est le
cas aujourd'hui, de prestataires.
En attendant, cette chronique d'une
reprise espérée dès 1997
(dans
le domaine informatique) n'est pas prête de s'arrêter.
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