Verticalité Française vs
Horizontalité Américaine
Ce qui suit se base en grande partie sur le
travail de
[PBaudry]
qui compare la culture française et celle américaine non
pour mettre l'une au dessus de l'autre mais simplement, par
contraste avec la vision américaine, pour mieux
comprendre notre culture. Il ne s'agit pas de juger
l'autre mais de mieux nous jauger.
Or donc, les cultures "anciennes" (la
culture régalienne anglaise d'antan, et la culture
française d'aujourd'hui) sont basées sur l'implicite, le
non-dit (cf. l'article Informaticien
et Français ? - Implicitement - Dur!).
Il en a résulté une organisation de la
société plus verticale, où chacun est censé connaître sa
place par rapport à l'autre. Les premiers colons américains
fuyant dès le début ce type de culture ont organisé très
tôt un système de "check and balance" ([PBaudry])
qui vérifie tout et oblige à une grande transparence, à
mettre tout à plat de façon explicite, d'où
un rapport plus "horizontal" dans leurs rapports de
tous les jours.
Les paragraphes suivants situent le
contexte lié à l'informatique, puis détaillent les
différents aspects de la société où la verticalité à la
française s'applique, en les illustrant avec des sujets concrets qui vous concernent, ingénieurs en
informatique.
L'ingénieur informaticien et les "éléments de
verticalité"
Avant même l'entretien d'embauche, la
verticalité des rapports est affichée : pour certains
postes, notamment les régies
et forfaits,
les SSII
ne sélectionnent que les ingénieurs, donc se basent sur le
diplôme. Pourquoi ? Parce que le client fait de même.
Ainsi, vous découvrirez vite que certains
éléments vous classent :
- votre diplôme qui vous empêchera potentiellement
d'accéder à de très hautes fonction si vous ne sortez pas
de certaines "grandes" écoles (notez le
"grand" : - verticalité -!) ;
- votre statut dans l'entreprise (et l'on sait que pour un
prestataire de service, il est "flou" : il en
possède un - explicite - au sein de sa société
de service - cf. carrière
en SSII - et un chez le client, beaucoup plus implicite, souvent
équivalent à "grouillot de base"!) ;
- le sexe, ce qui joue directement (mais implicitement, sans
le dire) sur votre salaire...
Cette verticalité trouve ses origines aussi bien
bien dans la longue histoire de notre culture (le seigneur et
ses serfs - vous rencontrerez certains cadres qui se
considèrent encore comme
cela !), que dans notre volonté
d'appartenir à un groupe (ce qui favorise entre autre un
certain "corporatisme" à la française!).
Comme le précise [PBaudry]
: « L’Américain aime l’échange entre égaux
et la compétition alors que
le Français préfère la fusion ou la
contre-dépendance. »
Pour bien comprendre ces éléments qui
viennent d'être mis en évidence, voici développé quelques
thèmes qui viennent illustrer et/ou détailler ces
"éléments de verticalité".
Informaticien et pouvoir
Le thème du Pouvoir
à la française a déjà été abordé, mais il marque les relations verticales que vous aurez, informaticien,
avec vos collègues.
Pour résumer ce jeu de pouvoir auquel vous serez
(ou êtes déjà confronté), on peut dire qu'il comprend
2 aspects :
- un aspect formel établit autour d'une hiérarchie figée ;
- un aspect informel basé autours d'un réseau de relation /
réputation.
En France, et dans le milieu informatique,
le premier aspect - hiérarchie figée - trouve une
illustration criante dans une "invention" diabolique
: la maîtrise
d'ouvrage (MOA) et la maîtrise
d'œuvre (MOE). C'est tellement français qu'il
n'existe pas de traduction
anglaise officielle. Il s'agit d'une séparation de
pouvoir plutôt qu'une collaboration, et cela permet de
ménager l'ego de tous, chacun se retrouvant inclus dans
"son" organisation et dépendant de l'autre
(la technique - MOE a besoin des directives du client, le
"donneur d'ordres"(!) - MOA - qui doit s'appuyer sur
ce que la technique peut implémenter...). On retrouve
l'aspect fusion et contre-dépendance évoqué plus
haut...
Évidemment, le problème d'une telle hiérarchie
- qui par nature s'affronte en son sein -, réside dans son
ouverture et son évolution : MOA et MOE ont besoins
d'intervenants externes (comme les SSII)
pour compléter leurs compétences internes... On parle alors
"d'assistance à maîtrise d'ouvrage" ou
"d'assistance à maîtrise d'œuvre" et les
organigrammes, déjà complexes, se complexifient encore un
peu plus !
(Attention, un contre-argumentaire fourni par Christophe Thiry
revient mettre ces remarques en perspective : MOE
et MOA : Christophe Thiry réagit)
L'aspect informel, surtout pour les
informaticiens, repose sur l'expertise et la perception de
celle-ci vis-à-vis de ses collègues. J'ai déjà vu des
projets entiers se créer simplement parce qu'un expert était
en désaccord avec la ligne technique choisie par ses
collègues : il étudiait dans son coin "sa"
solution et montait son équipe...
Cela vient principalement, comme le fait
remarquer [PBaudry]
du fait que « un Français qui est
très bon l’est d’abord par rapport aux
autres, alors qu’un Américain l’est
d’abord par rapport à lui-même. ». Cela influence aussi
un autre aspect très vertical :
Informaticien : relation Carrière
- salaire
Ces deux aspects sont très liés en
France.
Soyons clair, la carrière de
l'informaticien en tant que telle est pour le moins...
compromise. Comme cela est déjà détaillée dans carrières
en SSII, l'évolution passe :
- soit par une expertise reconnue (ce qui reste rare comme le
rappelle cet ingénieur),
- soit par le "management" - qui n'est en fait
limité que à l'encadrement, style chef
de projet (mais on abandonne vite tout aspect
technique qui reste l'attrait de base de ce métier, ce qui
nous y a poussé comme le rappelle Laurent
Bossavit) ;
- soit par l'aspect commercial (avant-vente, ingénieur d'affaire,
...), avec là encore un abandon progressif de la technique.
Plus les carrières de type
"encadrement" ou "commercial" sont mises
en avant, plus le salaire évoluera. Rester dans la technique
revient à s'exposer au lien entre
salaire et facturation.
Il en ressort donc une relation
supérieur-subordonnée où le premier est nécessairement plus
payé que le second. Aux États-Unis, une telle relation n'est
pas du tout évidente. Ainsi, le diplôme ou le poste occupé
ne sont pas les critères premiers qui "assoient" la
réputation sociale : le salaire reste un élément plus
factuel qui permet de jauger de la réussite d'une personne
dans son travail, que celle-ci dirige 5000 personnes ou
représente une expertise individuelle. Certains experts
peuvent tout à fait avoir des salaires supérieurs au patron
de leur entreprise.
Cela indique 2 choses :
- on reconnaît plus facilement la contribution effective de
l'individu, dans le cadre d'une relation basée plus sur la
collaboration (horizontale, de type win-win) que sur la hiérarchie
(verticale,
entre encadré et encadrant) ;
- on n'assimile pas la prestation technique (qui est la base
de l'intervention de l'ingénieur en informatique) comme un
simple coût.
En France, l'informaticien devient vite
"quelqu'un qui coûte cher" et non quelqu'un qui
aide à fournir les services au client. On en trouve une
illustration typique en salle de marché où les traders sont
valorisés (avec des primes conséquentes 45000 euros par ans
minimum...) et les informaticiens qui développent les
applications utilisées par les-dits traders sont ignorés
(avec des primes de 0 euros maximum...).
A l'intérieur de l'entreprise, on se rend compte
que, en France, l'ingénieur en informatique se heurte à une
vision verticale de sa prestation. Il fournit un service peu
reconnu, peu compris par la MOA, sous les ordres de supérieurs, ce qui est différent d'échanger un service entre
collaborateurs contre une reconnaissance concrète - comme un
salaire ou une prime.
Mais si l'on considère ce qui se trouve à
l'extérieur de l'entreprise, à savoir le client, on se
retrouve avec une dernière verticalité.
Informaticien : relation Entreprise et client
En France, au lieu de considérer le client
comme l'élément le plus important pour une organisation,
on le place en bas de l'échelle. [PBaudry]
précise : « Il est plus important d’avoir raison contre le client que de le satisfaire.
Servir le client est souvent ressenti comme étant équivalent à être le
domestique du client. »
Et là, l'ingénieur en informatique que
vous êtes joue un rôle non-négligeable dans cette relation
verticale. Qui n'a jamais pensé, en voyant son programme se
vautrer lamentablement, que « de toutes façon, c'est la faute de l'utilisateur -
quel c... cet utilisateur! » ?.
Après 5 ans d'études et de nombreuses heures de travail,
voir son programme planter après 30 secondes de manipulation
par une tierce personne revient à voir remettre en cause son
expertise par quelqu'un "qui n'y connaît rien", en
oubliant que ce quelqu'un - le client - connaît le service
qu'il est censé attendre, même s'il ne comprend pas la
technique implémentant le-dit service.
Cela relève aussi de l'individuation
(la nature
de l'individu) qui, en France, est fondée sur la relation
(ici client-fournisseur), et où « la verticalité française dans le service s’exprime notamment par le désir
du vendeur d’avoir raison contre le client, ce qu’il prend comme équivalent
à avoir le dessus par rapport au client, et donc à avoir renversé la relation
de dépendance verticale, de domesticité » ([PBaudry]).
[Cela peut constituer d'ailleurs une des origines du
dysfonctionnement parfois constaté dans une organisation de
type MOa
(Maîtrise d'Ouvrage) - MOe (Maîtrise d'Oeuvre)]
L'Américain fonde plus son individuation sur la
tâche (ici, sur son travail, sa prestation par rapport au
client). [PBaudry]
précise : « L’accent mis sur la tâche au détriment de la relation permet aux Américains
de moins s’embarrasser de cette dernière lorsqu’il s’agit de remettre en
cause une certaine façon de procéder. De ce fait, se trouvant moins concernés
par l’éventuelle interprétation d’une critique personnelle à l’encontre
des responsables de la précédente façon de faire, ils ont moins d’états d’âme
pour introduire des changements, qui, de ce fait, sont plus nombreux et
fréquents que dans les organisations françaises. »
Évidemment, l'inconvénient d'une telle vision
de l'individu (qui se définit par rapport à la tâche et non
par rapport à une relation verticale avec autrui) réside
dans l'aspect de responsabilité : si la tâche est mal faite
et que le client s'en plaint, celui qui a fournit le service
est clairement identifié. En France, on échappe aisément à
cette identification, via des expressions du type : « Tout le monde peut faire des erreurs »...
ce qui renforce une culture de la non-responsabilité, telle
qu'illustré de façon humoristique par ce diagramme
concernant la conduite des projets informatiques.
Conclusion
Si vous découvrez le monde des entreprises
françaises et que, en tant qu'ingénieur en informatique,
vous devez y fournir des services techniques, ces
"éléments de verticalité" basés sur la relation
(relations de pouvoir, relations entre carrière et salaire,
relations entre client et
fournisseur) doivent être connus.
Certes, leurs présentations laissent
peut-être des zones d'ombres ou d'imprécisions (écrivez
moi), mais il vous faudra gérer ces relations au jour
le jour afin de pratiquer votre métier dans de bonnes
conditions.
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